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l'air en feu

Prendre le sang d’Armand sans permission, c’était stupéfiant. C’était un acte si présomptueux, si complètement hors normes de tout protocole, de toute leçon d’histoire et de toute raison, qu’Armand ne put rien faire en réponse. Tout chez Lestat n’était que présomption et aurait dû être écrasé, du tutoiement abject qui tomba de ses lèvres dès qu’il descendit l’escalier, une croix posée sur l’épaule, à sa fâcheuse habitude de se pavaner sur scène, à la vue des mortels, tel une poupée peinte. Tout cela aurait dû être sa fin. Le fait que rien de tout cela ne le serait était à la fois une culpabilité brûlante et un terrible soulagement pour Armand. Le clan était fini, il n’y avait plus rien à y faire. Armand avait échoué, et il pouvait enfin se reposer.   

Il permit à Lestat de boire de son poignet, et ça n’avait rien en commun avec les rituels, lorsque les enfants du clan échangeaient le sang. Cela était une exigence ennuyeuse. Ceci est un baiser, une ecchymose exquisément pressée, une chaleur rayonnante qui se répandit dans sa poitrine et son sexe. Il désirait, et entre ces murs au moins, il a le droit de prendre ce qu’il désirait. À son tour, il prend ; et il prend du cou de Lestat.

Lestat réagi comme s’il n’avait jamais rien ressenti de tel. Au moins, Armand sut qu’il n’est pas le seul.

— J’ai une idée, dit Lestat.

Armand en rit presque.

— Naturellement, dit-il. Je crois que j’ai la même.

— Non… Enfin si, je te parlerai de l’autre idée plus tard.

Et il poussa Armand contre le mur, ne prêtant aucune attention aux flammes à côté d’eux.

Armand résista, un tout petit peu, une infime réticence dans ses pas quand il recula, parce qu’il connaissait trop bien cette partie de la danse pour oublier le vieux art. C’était un art encore plus ancien que les rituels du clan ; à la fois pour Armand, et pour le reste du monde. Un peu de réticence au début, une hésitation timide, si minuscule qu’elle parait inconsciente. C’était charmant. Et lorsque cette réticence était rompue et puis, finalement, abandonnée, cela créait un sentiment de triomphe qui engendrait la douceur.

Lestat répondit exactement comme Armand s’y attendait, en lui serrant plus fort et puis en le relâchant exactement au même moment qu’Armand cédait et se rapprochait. Lestat s’inclina pour lui lécher le cou, et Armand senti sa bouche s’étirer en un petit sourire involontaire. Il avait peut-être échoué à maintenir le clan, mais au moins lui restait encore cette compétence. Le sourire n’était pas tout à fait celui du triomphe, mais quand l’avait-il déjà été auparavant ?

Au moment où Lestat éloigna sa bouche et se mit à explorer avec ses mains à la place, Armand s’était déjà débarrassé de l’expression, et il était prêt. Lestat était beau, fraîchement lavé, et il serait doux. Armand sentait qu’il aller adorer celui-ci.

— Oh, dit Lestat, les mains dans les cheveux d’Armand, appuyant sur les côtés de son visage, comme s’il tournait une sculpture pour mieux l’observer sous tous les angles. Je sais, bien sûr, tu veux m’enculer. Tu es le chef de mon clan, n’est-ce pas ? Ou plutôt… tu l’étais. Mais tu es si démodé, si amoureux de tes rituels. Il ne conviendrait qu’un vampire aussi ancien et distingué que toi se fasse enculer par un petit arriviste comme moi. Peu importe à quel point je pourrais te donner du plaisir.

C’était comme les premiers instants après un coup de poing dans le ventre ; pas encore douloureux, mais déjà choquant. Armand retourna les mots dans sa tête encore et encore, la bouche ouverte, sans aucune autre pensée. Lestat n’avait pas tiré cette suggestion de sa tête ; les fortifications d’Armand étaient impénétrables, et cela depuis des siècles. Par ailleurs, Armand n’y pensait même pas.

Lestat toucha sa lèvre inférieure avec son doigt, et instinctivement Armand essaya de mordre dessus. Lestat le retira juste à temps, et à nouveau, le monde retrouva un peu plus de sens. Armand se faisait taquiner ; Lestat passait tout sa vie à se moquant du monde, alors naturellement il voulait se moquer d’Armand aussi. Ce n’était pas si mal. Armand pouvait au moins participer à la blague cette fois-ci.

Lestat mordu son propre doigt, avant de le traîner doucement sur les lèvres d’Armand, ne le laissant pas plonger dans sa bouche, pour qu’il puisse observer Armand se lécher les lèvres pour le goûter.

— Bien sûr, dit-il. Vous pouvez, maître.

Armand avait passé toute son existence de vampire à soigneusement garder ses pensées. Trop de vampires se promenaient en hurlant leurs pensées à qui voulait l’entendre ; ce qui était non seulement à leur propre détriment, mais aussi à l’ennui de tous ceux autour d’eux. Qui avait vraiment envie d’entendre chaque étape de la planification des repas d’un jeune vampire ? Cela faisait depuis très longtemps qu’Armand n’avait pas été assez choqué pour permettre aux frontières de son être de vaciller. Ça ne dura qu’un instant ; mais Lestat l’entendit.

Il se dégagea, et Armand se senti immédiatement démuni. Lestat inclina la tête, tel un galeriste qui découvre une ombre inattendue dans une œuvre familière.

— Vous attendiez-vous à ce que je résiste ?

— Non ! répondit Armand d’une voix étranglée. Ça sonnait comme une phrase inachevée, suspendue dans l’air, mais il ne trouva rien d’autre à y ajouter. Je n’ai jamais… Il reprit le contrôle de ses pensées avant qu’elles ne puissent à nouveaux s’échapper de son cerveau.

— Voulez-vous que je résiste ? demanda Lestat. Il avait le même sourire cruel qu’il arborait toujours sur scène mais en plus petit, une performance privée. Avez-vous aimé me voir au le sol, bouleversé par vous, rampant à vos pieds ? Voulez-vous me voir comme cela encore une fois ? Il recula de manière théâtrale, les mains levées devant sa poitrine. Dois-je courir ? Allez-vous m’attraper ? Allez-vous faire bien mal ?

Il ne restait plus de sang sur ses lèvres, mais Armand passa à nouveau sa langue dessus quand même.

Il chassait toujours comme son ancien maitre le lui avait appris. Il n’y avait pas de poursuite insensée. Il n’y avait pas de cris, pas de douleur. Ses proies aiment la mort quand elle venait à eux, ils la demandaient, l’attardaient avec l’âme et les veines ouvertes. Alors résister…

Résister, Armand l’avait essayé deux fois. D’abord, pour la toute première fois, quand il était nouvellement acheté par un capitaine de navire. Il aurait difficilement pu s’en empêcher ; il n’avait encore aucune idée de que faire d’autre, aucune connaissance de l’art qui aurait pu lui rendre la tâche plus facile. La seconde fois, quand Marius lui prêta pour la première fois. Il savait déjà à ce moment-là qu’il ne faisait qu’empirer les choses ; c’était stupide.

— Arrête ça, dit-il.

— Ç’est exactement ça. Lestat avait l’air ravi. Vous pouvez dissimuler vos pensées autant que vous voulez, je peux le lire dans vos grands et beaux yeux.

Armand ferme les yeux. 

Arrête, commanda-t-il, en y mettant un peu de force, juste assez pour rappeler à Lestat que s’il le voulait, il aurait pu le soulever et le réduire en cendre sans devoir lever le moindre petit doigt. 

Fermer les yeux ne servait à rien ; il pouvait quand même entendre le rire de Lestat résonner contre les murs. Il ouvrit les yeux juste à temps pour voir la main – juste à temps pour l’éviter s’il le souhaitait – de Lestat qui lui gifla légèrement la joue. C’était plus joueur que violent et une rage, de la sorte qu’Armand ne s’était pas permis de ressentir depuis longtemps, commença à bouillir en lui.

— Viens, dit Lestat. Viens, prends donc ton plaisir, mon petit maître enchanteur. Tu peux me le donner comme je le mérite, hm ? 

Il attendit à nouveau d’être empêché, avant de gifler l’autre joue. Le visage d’Armand était en feux. Il bandait. Il était affamé. 

Lestat continue, d’une voix basse et douce :

—  Ou peut-être que tu n’as jamais vraiment été le maître ici. Après tout, tu cèdes si facilement. Peut-être que tu n’étais rien qu’une petite pute.

La rage bouillonna. Lestat le voyait, il l’attendait, et il avait déjà disparu avant qu’Armand n’ait pu le saisir. Mais il était jeune, un tout petit oisillon malgré toute sa bravade, et il ne savait encore rien de son propre pouvoir. Armand le rattrapa devant ce qui jadis fu son propre trône, et le projeta en sol.

À premier abord, Armand n’avait aucune autre idée de que faire ; son corps était rempli d’une rage qu’il n’a aucune expérience, humaine ou vampirique, à exprimer. Il donna un coup de poing au visage de Lestat et le sang jaillit de son nez.

Lestat émit un petit bruit de choc et de douleur, mais après quelques instants seulement, il se transforma en rire hystérique. Il se tordit follement, et Armand était si surpris qu’il le relâcha. Il se trouva sur le dos, Lestat au-dessus de lui, ses cuisses serrant les siennes. Ils étaient tous les deux durs et flagrant sous leurs pantalons.

C’était son signal, n’est-ce pas, lui dicta une vieille partie de son esprit. C’était un jeu amusant, et Lestat y avait clairement pris goût, mais ça s’arrêtait maintenant. Détends-toi, Arun, repose-toi.

Mais au lieu, il donna un dernier coup de pied, et ajouta de la force en soulevant Lestat et lui déversant sur le sol, en dangereuse proximité du cercle de feu qui brûlait toujours. Il s’était déjà débarrassé de la plupart de ses propres vêtements quand il arriva sur Lestat ; et le pantalon de Lestat était descendu jusqu’à ses chevilles mais pas plus loin. Il était piégé ; c’était indigne.

Armand était un peu inquiet de ne pas savoir comment le faire de cette façon. Il n’aurait pas dû l’être ; il y a assez de sang, du nez et du cou de Lestat et son propre poignet. Après ça, c’était facile. Rien de bien compliqué. Il s’enfonça, et c’était si bon que c’était même facile de ne pas tenir compte des cris de douleur que Lestat feignait en-dessous de lui. Et maintenant qu’il y pensait, c’était évident que l’acte soit la chose la plus facile au monde ; même les plus gros crétins sur terre y arrivaient tout le temps. Armand le savait bien.

Si facile, et si bon, et si puissant. C’était une forme de pouvoir facile et superficielle, certes, mais simple, complètement contraire au pouvoir qu’il avait exercé sur le clan. Ça n’exige de lui que ce qu’il voulait bien donner. Lestat continua de résister, se retournant, le repoussant de ses mains et de son torse, mais il était facile à contrôler. Il était jeune et faible et d’autre part – et ça Armand en est bien conscient – Lestat ne voulait pas vraiment échapper.

Alors qu’il continuait à baiser Lestat, Armand se souvint, il y avait tellement longtemps de ça, des rares fois où Marius l’avait envoyé dans une maison close pour son propre plaisir. « Ça te ferait du bien, » lui avait dit Marius, « d’avoir des femmes et des garçons. » Et peut-être que cela aurait pu être vrai, mais Amadeo était resté dehors, tremblant, jusqu’à ce qu’il se soit écoulé suffisamment de temps pour qu’il puisse rentrer chez lui et en prétendant d’être satisfait. Le mensonge, comme toujours, avait été la partie la plus facile. Peut-être que s’il était entré, il serait devenu quelqu’un d’entièrement différent dans sa vie immortelle ; ni le garçon qui avait accepté avec tant de docilité d’être envoyé de force à Paris, ni le chef du clan qui était resté dans son pouvoir délabré parce qu’il n’y avait rien de mieux à faire, ni le tyran déchu qui avait accepté sa défaite l’âme secrètement soulagée. Peut-être serait-il devenu quelqu’un qui agit.

Lestat se moquerait probablement de lui, s’il pouvait lire ses pensées, parce qu’Armand était si vieux jeu qu’il espérait que d’un simple acte sexuel puisse survenir un changement si profond. Toutefois, c’était Lestat qui avait fait la proposition, Lestat qui avait perçu à l’intérieur d’Armand plus clairement que personne d’autre au monde depuis Marius. Et c’était lui aussi qui avait insisté pour qu’Armand prenne ce qu’il voulait sans que ça ne soit offert. Même si ce n’était qu’un simple jeu.

Ce n’était qu’un jeu. Et tant que Lestat y jouait de toute ses forces, se tordant et frappant Armand, le jeu, était clair. Mais soudain Lestat se détendit, sûrement pour pouvoir prendre son plaisir sans devoir déployer tant d’efforts. Et bien que cela aurait dû le rendre plus léger, plus agréable, ce ne fut pas le cas. Dès qu’Armand n’eût plus la tâche absorbante de garder sa proie immobile, ses pensées revinrent à son pouvoir conscient. Et tout d’un coup, quand il regarda l’homme piégé en dessous de lui, il ne voyait plus que le nez ensanglanté, les larmes rouges de douleur qui coulaient de ses yeux, et par-dessus tout, son impuissance absolue.

Comme un verre qui se brise, tout ce qui était pouvoir et plaisir se transforma soudainement en pourriture. Son corps se révolta contre lui, comme s’il allait recracher tout le sang qu’il avait bu, et il se dégagea violemment de Lestat. Saisi d’une panique irréfléchie, il se roula sur le côté et il finit la cuisse brulant sur l’un des petits feux qui étaient toujours allumés. De quelque part, il y eu un bruit qui ressemblait beaucoup à un sanglot et Il tapota la flamme pour l’éteindre. Il se retrouva enfin, allongé nu sur le sol de pierre crasseux, recroquevillé de douleur.

D’une manière ou d’une autre, les choses finissaient toujours comme ça pour lui.

La salle pièce était calme et silencieuse dans les instants qui suivirent. Le feu ne l’atteignait plus ; Lestat non plus. S’il avait été seul, Armand aurait probablement pu s’endormir ici, dans cette crypte, comme un énorme cercueil, le tombeau de tout ce qu’il avait essayé d’accomplir ou de préserver.

Mais Il n’est pas seul. Quand finalement il se redressa sur un coude et regarda derrière lui, Lestat était assis contre le mur, en train de l’observant. Il avait essuyé le sang de son visage et enlevé entièrement son pantalon au lieu de le remonter. Quand enfin Armand le regarda, il posa ses mains, paumes vers le haut, sur ces genoux, l’invitant à se rapprocher. Leurs regards s’accrochèrent et restèrent là.

— Viens, lui dit Lestat. Il n’y a rien ici de si mauvais que tout cela. Revenez-moi, petit maître.

— Arrête, répondit Armand. Ne m’appelle pas comme ça, je ne suis plus le maître de personne. Tutoie-moi.

— Tu ne l’es pas maintenant. Mais tu le redeviendras. Je ne t’ai pas encore parlé de ma deuxième idée, car on n’en a pas encore fini avec la première. Viens t’asseoir ici, où je peux te toucher. Doucement.

Ça avait l’air d’une promesse. Armand se rapprocha. Lestat l’attira contre lui, le dos d’Armand contre sa poitrine, le serrant doucement avec ses cuisses et ses coudes. Il ne demanda pas permission avant de tendre la main et de commencer à caresser le membre d’Armand pour lui faire retrouver son intérêt. Mais quand il faufila son nez dans les cheveux d’Armand pour atteindre son cou, il lui demanda doucement à l’oreille :

— Puis-je ?

Parmi tous ceux qui avaient demandé le sang d’Armand, pendant les rituels, en tant que chef du clan, en tant que conduit vers Dieu à travers Satan, Lestat était peut-être le premier qui semblait le vouloir réellement.

— Oui, répondit Armand.

Sa morsure était si douce que certains auraient peut-être eu du mal à croire les rumeurs à son sujet ; qu’il a été enlevé, torturé, transformé en monstre contre son grès. Une violation innommable.

Armand pouvait facilement le croire. Il le croyait, parce que dès moment où leurs regards s’étaient croisés, il n’avait pas eu besoin lire les pensées de Lestat, ni de révéler les siennes. Ils se comprenaient tout simplement.

Le lendemain soir, Armand s’assit parmi les larves au théâtre, pendant que Lestat lui parlait dans la tête depuis la scène, et lui redonnait son clan.

Cents nuits après le début de la nouvelle vie de son clan, Armand était assis dans une loge spacieuse et il dit à Lestat qu’il l’aime. Ses leçons avancent bien ; Lestat pouvait maintenant marcher sans que ses pieds ne touchent le sol, et bouger des petits objets avec la seule force de ses pensées. Au fur et à mesure qu’il comprend mieux le monde des vampires, Armand lui dévoilait un peu plus de lui-même, si confiant qu’ils étaient tous les deux passés de la pourriture et la corruption à la beauté et l’amour. Lestat était avec lui. Lestat ne pouvait pas le quitter. Armand en était certain cette fois-ci.